Patrimoine

Patrimoine bâti

SUR LES TRACES DE ROQUEFEUIL

Une famille illustre aux racines millénaires, l’homme le plus riche du monde, un crâne humain, un château brutalement disparu… Qui pourrait s’attendre à trouver tout cela à Masmajou à trois cents mètres de Barriac, sur la commune de Bozouls ?

Le château des Roquefeuil était bien là au centre des maisons de Masmajou comme l’atteste une carte postale des années 1900, unique document existant, conservé pieusement par quelques habitants.

Seules quelques pierres et une partie souterraine subsistent. Cependant, on peut encore identifier, en bord de route, ce qui fut le colombier du château. Transformé en refuge pour le bétail, puis en logis d’habitation, il conserve un rez-de-chaussée voûté. Que s’est-il passé ?

 

LE CHÂTEAU ET SON DOMAINE

Dans la deuxième moitié du XVIe siècle, Antoine de Goudal, sieur de La Coste, capitaine de Barriac, demeure à Masmajou. Sa petite fille Françoise, en épousant en 1637 le noble Jacques de Roquefeuil, sieur d’Arcisse, va faire entrer Masmajou dans les biens de la célèbre famille. Le couple s’établit au village.

Le château datait-il du XVIe, du XVIIe siècle ou d’avant ? Méconnu de l’histoire locale, il gardera tout son mystère car ses archives ont disparu avec lui.

On sait cependant que le domaine de Masmajou est resté dans la famille de Roquefeuil jusqu’à la Révolution. A cette époque difficile, Baptiste de Roquefeuil, capitaine de cavalerie, voit un de ses fils émigrer et disparaître sans laisser de trace. Au décès de son père, en 1807, le partage successoral en sera plus compliqué.

Les terres de Masmajou vont être dispersées. C’est la fin des Roquefeuil de Masmajou et bientôt de leur château.

Pendant encore un siècle, il va rester debout mais, en 1924, on lui trouve un brutal destin… celui d’une carrière de pierres ! Cheminées et belles pierres vont venir embellir les maisons de Barriac et de la région.

 

UN CRÂNE HUMAIN

Doit-on relier la famille de Roquefeuil à une macabre découverte faite dans le gouffre de Barriac au cours des années 1970 ? A cette époque, un passionné de spéléologie s’acharne à dégager une suite de grottes à la sortie du village. Un jour, dans la pierraille et les gravats divers, apparaît un crâne humain.

La rumeur voulait que ce soit les restes d’un Roquefeuil victime de la Révolution ! L’enquête de gendarmerie révèlera que ce crâne avait reçu du plomb (du numéro 4 pour le lièvre !). On n’en saura pas plus !

 

LES ROQUEFEUIL

Des ancêtres jusqu’au-delà de Charles Martel, des alliances aux trois dynasties des rois de France, aux rois d’Aragon, aux empereurs de Constantinople… Cette maison, aussi illustre par sa   puissance que par son ancienneté, comporte une vingtaine de branches mêlées à toute l’histoire de France.

On rencontre des châteaux qui leur appartenaient dans les Cévennes, le Languedoc et en Rouergue. Le plus connu et le plus beau reste le château du Bousquet, près de Laguiole.

 

ROCKFELLER ET ROQUEFEUIL

Qui  n’a pas rêvé d’hériter d’un « tonton d’Amérique » ?

Les nombreux descendants des Roquefeuil ont dû caresser cet espoir en 1937 au décès de John D. Rockfeller, l’homme le plus riche du monde.

De son vivant le célèbre milliardaire avait voulu rechercher les prétendues origines communes aux deux familles. Pour cela il avait interrogé le grand généalogiste américain Lewis.

Celui-ci établit qu’une branche des Roquefeuil, de confession protestante, s’était implantée en Allemagne au XVIIe siècle et qu’à la même époque, des Rockefeller, protestants également, en étaient partis pour les U.S.A.

Mais comment prouver la « soudure » entre les deux familles ? Cela n’a pas été fait, mais il n’est pas interdit de rêver !

Gérard Astorg : « Châteaux et personnages du Causse-Comtal« 

 

En ce 30 Août 1969, le journal Centre-Presse titre sur un évènement : « le centre aéré de Barriac à 10 ans ».
Il est prévu une grande fête, avec magiciens, repas plantureux et surtout un spectacle donné par les jeunes pensionnaires dans le parc du château de Paumes.
La reconstitution, en costumes d’époque, du mariage de Mademoiselle Boyer avec Jean-Louis Affre, est au programme.
Une union qui va donner naissance à Denis Affre, le futur archevêque de Paris, tué sur les barricades lors de la Révolution de 1848.

PARADOXE

Depuisn1962, le domaine de Paumes, accolé à la route qui conduit à Barriac, servait de centre aéré pour les Œuvres Laïques du département de l’Aveyron. Auparavant, en 1947, une colonie de vacances des P.T.T. s’y était installée.
Il peut paraître paradoxal qu’une fête en ce lieu très laïcisée, s’appuie sur le thème d’un héros épiscopal ! Mais la mort glorieuse de Monseigneur Affre, né à Saint-Rome-de-Tarn, est encore vive dans la mémoire de tous les Aveyronnais laïcs ou catholiques.

AFFRE, BOYER, FRAYSSINOUS : L’EMPREINTE RELIGIEUSE

En réalité, le domaine de Paumes a connu des ecclésiastiques aveyronnais de premiers plans.
Denis Affre y côtoyait son oncle, l’abbé Boyer, né à la « grange » le Lioujas, professeur et théologien très célèbre en son temps.
Quelques années auparavant, l’abbé Boyer avait bien souvent parcouru les allées du parcavec son ami, cousin et voisin de la Vayssière, le futur Monseigneur Frayssinous. Lors de la tourmente révolutionnaire, celui-ci était venu se réfugier tout à coté au domaine de Seveyrac.
Depuis longtemps les cousins Boyer et Frayssinous étaient inséparables. Ainsi ils furent nommés tous deux vicaires du brave curé de Curières qui les considérait un peu rapidement comme « deux imbéciles, qui à eux deux ne sauraient pas faire un baptême »!
A l’époque de la Terreur, leur foi ne chancela pas. Un jour, pour se préparer au pire, ils décidèrent d’aller voir la guillotine de Rodez. L’abbé Boyer fut si ému qu’il attira l’attention et fut reconnu. Emprisonné, il réussit à s’évader grâce à un ami déguisé… en bourreau!

LE DOMAINE

Vers le milieu du XVI ème siècle, une famille Boyer était déjà établie sur le domaine de Paumes. En 1811, Antoine Boyer faisait partie de la fameuse liste des six cents plus imposés du département.
C’est vers cette époque que les bâtiments furent transformés. Ils le seront encore plus tard pour satisfaire aux exigences des groupes de jeunes. Aujourd’hui, habitation particulière, la bâtisse garde le souvenir des grands ecclésiastiques pour certains, et des images de cilonies de vacances, pour d’autres.

Gérard Astorg : « Châteaux et personnages du Causse-Comtal »

Le domaine de Lédénac appartenait à l’origine à la famille Azémar et ce, depuis le début du XVIII ème siècle, période de sa construction.
En 1849 Henri Rivière, propriétaire de Paumes acheta Lédénac.
Le 10 Mai 1927 Henri de Lanzac de Montlogis acquit l’ensemble du domaine à son cousin avec le bénéfice de la vente du château du Bousquet près de Laguiole.
La famille de Lanzac de Montlogis dont l’un de ses ancêtres Jean de Chaunac participa à la troisième croisade de 1189 à 1192 témoigne « de huit cents ans d’histoire jalonnée de faits dignes d’intérêts » (Cf Les seigneurs du Bousquet et leurs alliances de Francis Falguières), parmi lesquels la participation à la troisième croisade, des Chaunac à Montlogis, le duel victorieux du seigneur de Montlogis en 1782, l’incendie du château de Montlogis en 1792 et l’arrivée au château du Bousquet en 1903 à la suite des Montpeyroux et Roquefeuil.
Huit cents ans d’histoire jalonnée également de riches alliances avec « de nobles familles du Rouergue, Gévaudan, Quercy, Auvergne et Languedoc ».

Source : Livre de François Falguières « Les seigneurs du Bousquet et leurs alliances »

NOURRIR LES AMES ET LES CORPS

Sœur jumelle de la tour-grenier de La Vayssière et fille de l’abbaye de Bonneval, la tour fortifiée de Séveyrac présente toutes les caractéristiques des tours de ces grands domaines ecclésiastiques que l’on appelait « granges ».
Ces terres ont été données en 1165 par Hugues, comte de Rodez, à l’abbaye de Bonneval.
Les moines vont mettre le domaine en valeur, l’exploiter, bâtir la tour grenier au XVème siècle, puis prendre des fermiers du XVIIème siècle jusqu’à la Révolution.
Le grand four à pain, la porcherie, la bergerie, l’étable et une immense grange sont regroupés autour de la tour.
Le domaine de Séveyrac a également conservé l’aire de battage, le jardin des moines et une fontaine aménagée avec un vivier. C’est un petit village à lui tout seul !

STOCKER ET DEFENDRE

La tour fortifiée, à la fois grenier et donjon, occupe le point central avec pour mission de stocker et de protéger les récoltes.
Comme à La Vayssière, on retrouve quatre échauguettes dont il ne reste que le culot. L’accès par le double et monumental escalier n’existait pas du temps des moines. L’entrée se faisait du coté opposé, vraisemblablement par un étroit pont-levis.
Lorsque la Révolution survient avec la vente des biens ecclésiastiques, l’adjudicataire s’appelle Jean-Baptiste Frayssinous. Son jeune neveu, le futur Mgr. Frayssinous, viendra souvent de La Vayssière pour le voir. Pas étonnant qu’aujourd’hui encore, le même portrait de Monseigneur Frayssinous trône à la fois à Séveyrac et à La Vayssière !

L’AUBRAC

A la fin du XIXème siècle, Séveyrac va passer par mariage à un vicomte et un poète fin lettré au patronyme célèbre : Bernard d’Armagnac.
Le domaine situé sur « la grange draye » qui conduit depuis toujours les troupeaux vers l’Aubrac, ne pouvait que l’inspirer. On l’imagine en haut de la tour de quatre étages, les yeux tournés vers la montagne, écrire son plus célèbre poème sur « la montée des vaches » ou il chante Séveyrac.
N’est-il pas naturel que la volumineuse étude du CNRS publiée en 1971 sur l’Aubrac et sa belle race bovine s’appuie sur le domaine de Séveyrac ?

MOINES ET MOINILLONS

Au Moyen Age, chacune des « granges » de l’abbaye cistercienne de Bonneval (Séveyrac, Galinières, La Vayssière, Masse…) constituait un centre d’exploitation et un monastère en miniature.
La mission de la grange de Séveyrac était précise : assurer la « pitance » (nourriture) des quatre cent cinquante moines, convers ou domestiques de la maison mère, mais aussi faire des « distributions » aux pauvres et aux pèlerins de passage.
A la tête de la grange, le « maître grangier » se chargeait de l’intendance avec un privilège qui valait de l’or : il avait droit à la parole ! Après lui venait « le frère hôtelier » qui ne pouvait parler qu’aux gens qui demandaient l’hospitalité.
Les moines affectés aux services de la grange, non seulement ne pouvaient échanger le moindre mot, mais ils étaient placés sous une surveillance mutuelle. Les frères vachers, porchers et autres, travaillaient chacun avec un moinillon qui ne les quittait jamais. La confiance n’excluait pas le contrôle !
Ce n’est qu’à la chapelle – toujours présente dans la tour – qu’ils pouvaient chanter. Et ils ne devaient pas s’en priver !

Gérard Astorg : « Châteaux et personnages du Causse-Comtal »

 

 

Intervention de Jean-Yves Rieucau lors d’un colloque sur les granges cisterciennes qui s’est tenu aux Bourines le 18 juin 2011.

 

Mon intervention porte sur l’histoire du domaine de Séveyrac et son évolution depuis la fin du XVIIIème siècle jusqu’ à nos jours.

Au XVIIème, le mode « faire valoir direct » cesse, l’exploitation est louée à des fermiers laïcs. Il demeure cependant toujours des relations privilégiées entre les granges et l’Abbaye, notamment le droit de faire estiver le troupeau avec ceux d’autres granges sur la montagne du Trap de Curières qui est maintenu.
Je vais donc retracer l’histoire de Séveyrac depuis 1792 en me plaçant uniquement sur la dimension exploitation agricole.
Pour ce, en reprenant chronologiquement la vie des propriétaires et fermiers successifs, on remarquera les évolutions et modifications intervenues tant sur les pratiques de production que foncières et architecturales.
L’histoire de Séveyrac depuis la révolution c’est l’histoire de deux familles, les Frayssinous et les Rieucau.

En 1790, en prévision de sa prochaine vente comme bien national, et, à la demande du District de Rodez, Séveyrac, possession des religieux de Bonneval, est estimé à 64 552 livres.
La vente a lieu le 16 janvier 1792 à Rodez. L’adjudication définitive est accordée à Jean Baptiste Frayssinous, né en 1742 au Puech de Curières, issu d’une vieille famille de l’Aubrac. En 1679, un certain Jean Aymard Frayssinous est l’Abbé de Bonneval.
En 1785, Jean Antoine Frayssinous est fermier général de Bonneval (donc de Séveyrac). Il est le frère de Jean Baptiste le nouvel acquéreur. Ce dernier est successivement fermier de la Roquette, puis de Bonnefon et enfin de 1788 à 1792 des Bourines.
Cette ascension constante ne laissait cependant prévoir la chance que la révolution allait lui donner. De grand fermier, il allait devenir propriétaire. Ces détails montrent la stabilité du monde agricole avant 1789.
L’exploitation de 210 hectares comprenait :
– 30 hectares de prairies naturelles situées dans la veine argile calcaire,
– 70 hectares de champs pour la plupart peu fertile,
– 80 hectares de devèze pour le pacage des ovins,
– 30 hectares de bois de bonne qualité.
Le parcellaire représente un bel équilibre d’exploitation ; les parcelles sont de bonne taille et tiennent compte de la nature du sol.
Le troupeau d’ovins, de 300 à 400 bêtes, domine les autres productions (bovine, porcine et céréalière).
La montagne des Inguilhiens, près de Condom d’Aubrac, permet l’estive en location.
En 1806, Jean-Antoine Frayssinous, le fils de Jean-Baptiste lui succède, et il entreprend de grands travaux. Il transforme la tour et la rend plus habitable. Il aménage l’unique fontaine du corps de ferme. Il modifie enfin les bâtiments d’exploitation, grenier, écurie des juments et la maison de la ferme.
En 1840, il se retire à Bouet prés de Laguiole et laisse Séveyrac à ses frères et soeurs. Aimable Frayssinous, son plus jeune frère, achète en 1843 « Falguière », un champ de 15 hectares provenant de Crespiac qui permettra d’accroître la production. Jusqu’en 1854, les Frayssinous exploitent directement leur ferme ; ils cultivent l’orge, le blé, le seigle, l’avoine à mi-fruit. Ils produisent du fromage sur l’Aubrac durant l’estive. Ils engraissent veaux, agneaux et porcs pour la vente. Le troupeau de brebis leur assure également un complément de revenus avec la laine.
En 1854, Aimable Frayssinous loue Séveyrac à Louis Viguier de Gabriac. Ce dernier plantera la première pomme de terre. Il utilisera la charrue dombasle pour les terres argileuses, l’araire étant conservée pour les terres du Causse. Il possède 20 vaches, 8 paires de boeufs, 2 juments et 300 brebis. Il emploie 10 à 15 salariés. On est dans un système de polyculture-élevage. Cette même année, la bergerie est construite.
En 1873, Aimable Frayssinous meurt, sa fille unique qui a épousé Bernard d’Armagnac, hérite de Séveyrac. C’est donc le Vicomte d’Armagnac qui gère désormais le domaine et l’afferme cette même année à Adrien Dauban.
Le montant du fermage s’élève à 8 000 francs, auxquels s’ajoutent de nombreuses réserves dont la moitié de la production de la vigne de Rodelle, 2 cochons, du lait, des oeufs, du fromage, des légumes du jardin et l’entretien des chevaux.
En 1873, on bat les céréales sur l’aire à la batteuse, les ovins ne monteront plus sur l’Aubrac, l’assolement reste identique. La montagne de Servel ne sert plus qu’aux bovins.
Le bail de Dauban s’interrompt en 1883. Monsieur d’Armagnac le propose à Pierre Rieucau qui l’accepte car c’était pour lui le gage d’une vie plus facile.
Pierre Rieucau est né à Saint Julien de Rodelle en 1831. Sa mère, Julie Duvieux, était née à Crespiac. Son frère n’ayant pas d’enfants fait appel à son neveu Pierre Rieucau et lui lègue sa ferme de 20 hectares. Pierre Rieucau s’installe donc avec sa famille à Crespiac.
Les conditions du bail de Séveyrac étant particulièrement dures (8 000 francs plus les réserves), il dût cautionner la ferme de son frère de Saint Julien de Rodelle et la sienne de Crespiac. Si les propriétaires, Monsieur et Madame d’Armagnac, ne viennent pas souvent à Séveyrac, ils laissent peu d’initiatives à leur fermier (choix de l’assolement et catégories d’animaux). Pierre Rieucau pourra joindre au domaine sa petite ferme de Crespiac.
Les rapports entre le propriétaire et son fermier sont à la fois cérémonieux et familiers. Le fermier, son épouse et leurs sept enfants vivent à la maison de la ferme. Les enfants participent aux travaux et bénéficient d’une promotion régulière avec l’âge. Le rôle de l’épouse est primordial pour le bon fonctionnement de l’exploitation. Elle assure toute l’intendance. Cet état de fait ne se démentira jamais même au XXIème siècle. Le respect que l’on porte au fermier est du même ordre que celui qu’il a pour son propriétaire.

Faisons un point sur le personnel non familial :
– Le maître valet organise le travail, remplace le patron lorsqu’il se déplace aux foires ou aux loues. Il fait le pain, construit les gerbiers, mène la première paire de boeufs au labour. C’est un emploi de confiance qui implique de la stabilité.
– Le charretier s’occupe des chevaux (deux ou trois). Avec l’apparition des nouveaux outillages cet emploi prend beaucoup d’importance.
– Le batier et le tras-batier s’occupent des boeufs toute l’année (six ou sept paires).
– Le cantalès s’occupe des 40 vaches de race Aubrac. Généralement il les suit l’été à la montagne et fabrique le fromage. L’hiver, il est responsable du pansage aidé par le tras-cantalès (un ou deux).
– A la bergerie, trois hommes sont présents. Le berger responsable du troupeau et de sa conduite. Sous ses ordres, le bassivié s’occupe des jeunes brebis et le pastrou assure les mini-travaux. L’été, les 300 brebis passent les nuits dehors au parc, les bergers couchent eux dans des cabanes sur roues.
Les ouvriers permanents conservaient leur poste souvent plusieurs dizaines d’années. Ils vivaient en permanence avec les animaux qui leur étaient confiés. Leurs compétences professionnelles se mesuraient à l’état de leurs troupeaux. Bergers et vachers se sont appliqués d’années en années à maintenir leurs troupeaux dans le respect des usages acquis.
– Plusieurs servantes aident aux travaux domestiques et aux soins des porcs.

Outre le personnel permanent, Séveyrac accueillait des ouvriers souvent originaires des hameaux voisins pour les travaux saisonniers (fenaison, moisson, battage,…).
A la demande et en fonction des besoins, maçon, menuisier, forgeron, tondeur de brebis, tueur de cochons offraient leurs services. Leurs interventions régulières ponctuaient le rythme des saisons.
– Jusqu’en 1902, un garde forestier était employé par les époux d’Armagnac.
En 1890, le fermage est de 8 500 francs (Séveyrac et la montagne des Landes).
Monsieur d’Armagnac fait ensemencer par son fermier le champ grand en prairie naturelle et fait implanter les premières luzernes sur le causse. Il achète la première faucheuse en 1898 pour la somme de 430 francs.
En ce début de bail, il accorde à son fermier une somme de 4 000 francs pour la construction de l’étable des boeufs. Le bois nécessaire sera prélevé sur la ferme. Pierre Rieucau assurera le suivi des travaux et livra le bâtiment à la fin du bail, soit trois plus tard.
En fait, la ferme vit dans une économie à tendance autarcique, en dehors de la vente des animaux, du fromage, des quelques céréales, des porcs et de la laine, la production est orientée en grande partie vers l’autoconsommation.
L’exploitation est importante mais le causse est pauvre.
Pierre Rieucau ne fera pas de dettes, mais il ne s’enrichira pas comme fermier à Séveyrac.
En 1903, âgé de 73 ans, il cède son bail à son fils Pierre, né en 1876 à Crespiac. Avec lui c’est tout un monde qui va disparaître ; le rythme des transformations va s’accélérer du fait de l’évolution générale du monde agricole liée à la mécanisation notamment, à l’exode rural et aux modes de vie familiaux. Cette évolution est la conséquence directe également de l’initiation aux responsabilités de Pierre le fils qui s’est vu confier très tôt par son père le poste de « maître valet ». Dés le début de son bail, il entreprend la traite des brebis pour Roquefort. Cette décision va modifier l’organisation de la ferme, la part des céréales va diminuer au bénéfice des prairies naturelles et artificielles qui verront leur surface en forte expansion avec comme incidence un surcroît de travail.
Le berger voit son salaire amélioré et peut s’appuyer sur des aides pour la traite. D’un système de polyculture, on passe à une économie d’élevage. Le personnel temporaire diminue du fait de la mécanisation (achat de la première moissonneuse-lieuse en 1904). La ferme devient moins dépendante des villages voisins.
En 1922, Madame D’Armagnac, née Frayssinous, meurt. Monsieur Joseph Desjoyaux, son cousin, hérite de Séveyrac. Il vit dans la Loire mais connait bien la ferme. En 1911, Monsieur D’Armagnac avait fait appel à lui.
En 1914, le fermage est de 8 000 francs (Séveyrac et la montagnette de Curières).
En 1922 malgré la guerre, les pratiques changent peu ; les améliorations techniques se poursuivent lentement ; le prix du bail est porté à 12 000 francs. Il est adjoint à Séveyrac la montagne de Bord Haut, située en Lozère sur 200 hectares. Mon arrière grand-père prendra des animaux en pension l’été afin de charger correctement la montagne.
En 1928, le bail prend fin. Monsieur Desjoyaux intéresse Joseph Vesco, son filleul, à Séveyrac. Pierre Rieucau et sa famille se retirent sur une ferme qu’ils achètent à Concourès. Il la fera valoir avec ses terres de Crespiac.
En 1932, Joseph Vesco abandonne. Monsieur Desjoyeux se retourne vers Pierre Rieucau et lui propose d’acheter Séveyrac.
Après cinquante années de fermage, la famille Rieucau devient propriétaire. La montagne de Bord Haut ne fait pas partie de la vente mais restera louée jusqu’en 1940.
La ferme de Concourès est revendue ; quant à celle de Crespiac elle intègre définitivement Séveyrac.
Si les pratiques changent peu après 1940, le système de la montagne évolue. La pension des 45 vaches durant l’été est payée par le fromage que produit le cantalès, lui-même étant le locataire de la montagne. Le troupeau suit le cantalès sur l’estive qu’il loue (Plèches, Fontanille, Régamblhaut…).
Pierre Rieucau meurt en 1958, son fils Louis déjà très impliqué, prend la suite. La mécanisation se poursuit ; achat du premier tracteur en 1947, première machine à traire en 1950, construction de la salle de traite en 1965. Le nombre des personnels permanent et saisonnier diminue nettement. En 1963 par manque de personnel et du manque à gagner sur les veaux, la traite sur la montagne est terminée. Les 50 vaches estiveront à Regambal-Bas en système de manade. A la même époque, le battage sur l’aire c’est fini. Place à la moissonneuse-batteuse !
En 1966, deux tracteurs supplémentaires viennent remplacer les boeufs et juments dont les derniers spécimens partent de Séveyrac à cette époque. La production des porcs se limite aux besoins de la ferme exclusivement. Il ne reste plus que quatre salariés.
Louis Rieucau meurt en 1967, âgé de 61 ans. La surface de Séveyrac est la même que celle exploitée par son grand-père en 1884. Son fils Joseph prend la suite, la ferme désormais s’appuie sur deux productions:
– Les 300 brebis sélectionnées en race Lacaune pour la traite.
– Les vaches (50 en 1967, 70 en 1994), avec une intensification de la sélection en race Aubrac.
Les veaux mâles sont vendus pour l’engraissement en Italie (les bourrets). Les vaches estivent toujours sur la même montagne. Les surfaces restent identiques. La part des céréales dont le rendement est faible, diminue au profit des fourrages. Le système est extensif et vise comme toujours à l’autonomie.
En 1982, construction des bâtiments modernes pour les vaches et broutards et d’un hangar de stockage. En 1989, il ne reste plus qu’un salarié.
En 1993, je m’installe sur l’exploitation avec mes parents. J’augmente le troupeau de bovins et diminue le nombre d’ovins. En 1995, achat de la montagne de Régambal-Bas. Spécialisation progressive de l’exploitation vers la production bovine et modernisation du matériel agricole. En 2003, le troupeau d’ovins est vendu. La traite pour Roquefort après un siècle d’existence est terminée !
Il n’y a plus de salarié permanent à Séveyrac. En 2006, construction d’une stabulation libre pour 130 bovins adultes et transformation de l’étable de 1982. Le manque de main d’oeuvre, l’obligation de normes toujours plus strictes, le manque de rentabilité, la volatilité des marchés et les transformations de la société en 15 ans ont provoqué à Séveyrac plus de bouleversements qu’en 7 siècles.

Epilogue

Au delà des siècles de relations avec Bonneval, j’ai voulu retracer le évènements successifs qui ont transformé Séveyrac depuis la Révolution.
Chose assez facile car seulement deux familles ont évolué en ces lieux. Ainsi de grands changements sont intervenus à Séveyrac. Bien plus que les bâtiments, les terres conservent dans leur répartition, leur utilisation, un respect des traditions encore plus frappant.
L’organisation de l’espace est encore aujourd’hui celui que les moines avaient su imposer par un labeur séculaire à l’étendue du domaine. La complémentarité avec les terres de l’Aubrac forme un système d’élevage inégalé. Nombreuses sont les exploitations qui l’ont adopté.
Le prestige historique qu’en tirent ces fermes, ajouté au labeur de générations d’hommes, agit sur leurs propriétaires.
On se doit d’honorer par notre comportement l’ancien domaine des moines.

 

CHEZ LE JUGE TREDOLAT DE MAYMAC

S’il fallait choisir une exploitation agricole et sa maison de maître pour illustrer le domaine type du Causse Comtal, pourquoi pas Crespiac ?
Comme bien des domaines, Crespiac dépendait d’un monastère (Bonneval au XIIIe et XIVe siècles). Sa production fut d’abord céréalière avant de se tourner vers les bovins et l’Aubrac. Au fil des ans, il y eut partages, ventes de parcelles, fermages… comme ailleurs.
La présence de notables-propriétaires ruthénois qui aménageaient une habitation et louaient les terres est une autre constante.
Au début du XXe siècle, une famille de fermiers, les Rieucau, comme beaucoup d’autres, accède à la propriété. Le chanoine Rieucau, élu conseiller général en 1945, et le Docteur Rieucau, médecin, en sont deux représentants bien connus.

ARCHITECTURE LOCALE

La maison de maître elle-même est typique du Causse Comtal. Une tourelle carrée à toit pavillonnaire en accolade abrite le traditionnel pigeonnier et domine l’ensemble de la bâtisse rectangulaire.
L’origine de la bâtisse remonte pour l’essentiel aux années 1780.
Sa construction est due à Jean-Joseph Trédolat-de-Maymac, conseiller en la Sénéchaussée, juge présidial à Rodez, recensé en 1811 parmi les plus imposés du département.
Elle s’appuie sur une bâtisse plus ancienne à usage d’habitation pour le fermier.
UN PORTAIL ROUERGAT
Le portail d’entrée date de 1810. Ce type de porche couvert d’un toit à auvent se rencontre fréquemment en Rouergue et en… Ile-de-France.
Très répandus au XVIIe siècle, ces porches comportent à la base de chaque piliers, une borne qui servait à absorber le choc des charrois. Parfois fortifiés, ils pouvaient supporter une bretèche ou des bouches à feu.
Ces porches ont été trop souvent sacrifiés. Il est plus facile d’élargir le passage pour les camions du ramassage laitier que de porter de lourds bidons tous les jours !

LE JUGE ET LE CURÉ

Ni une fable, ni un conte, c’est un règlement de comptes qui remonte à 1811.
A cette date, un livret de quatorze pages circule dans la paroisse de Barriac dont dépend Crespiac. Il raconte les vilenies du nouveau curé de la paroisse, Jean Constans, à l’égard du juge Trédolat de Maymac.
Ce dernier lui reproche de faire payer à ses ouailles des dépenses accablantes, inutiles et personnelles avec un impôt levé par lui-même à son profit. Le digne magistrat crie à l’illégalité du procédé. Le climat s’envenime !
Un jour, une veuve est « accablée d’injures et d’invectives » lors d’une prédication du curé. Elle est chassée de l’église à coup de pierres ! Sérieusement blessée, elle fait établir un certificat médical par un médecin de Rodez à la demande du juge qui dit « agir en tant que paroissien compatissant ».
Les rapports du curé et du juge vont de mal en pis. A chaque volée d’injures du curé les gens prennent l’habitude de dire : « Il pleut sur Crespiac ! »
Le rédacteur du livret raconte enfin l’épisode qui conduira le juge devant la Cour de Montpellier. Alors que la messe du 2 février va commencer, celui-ci vient chuchoter à l’oreille du curé pour le défier de dire du mal de lui devant tous les participants à l’office.
Aussitôt, le curé relève le défi et prend ses paroissiens, les prend à témoin. La messe doit être retardée. Un préjudice grave aux yeux du curé.
Le juge est condamné à une peine symbolique, mais le Procureur Général ouvre une enquête sur les agissements du curé !
Vous a t-on dit qui était l’auteur de ce texte vengeur ? Le juge, bien sûr !

CRESPIAC : Au XVIIIe siècle, l’abbaye de Bonneval possédait des droits féodaux sur ce mas. En 1398 elle cède ce fief à Gibily Coursonne. Cette famille a dû rester longtemps sur ce domaine car son nom figure encore dans une reconnaissance de 1640. Après la Révolution, Régis Trédolat succéda à Jean-Joseph Trédolat dont nous avons suivi les démêlées avec le curé Constans. Ce fils de Madeleine Crozet d’Hauterives, époux de Cécile Jausion, connut des revers de fortune dus à des mésententes familiales. Il dut céder la maison de maître de Crespiac et ses terres à sa mère, et rendre la dot à son épouse. Le démantèlement du domaine commençait…
Sources : Document n° 1, tome 1 – Document n° 7, p. 139 et s. – Vent du Causse, janvier 2004. Le juge et le curé : Archives départementales de l’Aveyron, AA322. Les portails : Document n° 2, p. 109.

 

LA VIE DE CHÂTEAU

Que ce soit sur le papier glacé des revues spécialisées ou sur son site Internet, les chambres d’hôtes du domaine des Brunes appellent à vivre une vie de château.
Pour cela il faut se rendre au cœur du Causse Comtal, en bordure de la route Curlande-Bozouls.

VISITE

Pénétrons par le porche voûté daté de 1712 qui supportait un pigeonnier au début du XXe siècle. La cour franchie, par une porte Renaissance on accède à la haute tour coiffée en poivrière. Une heureuse surprise nous attend.
Un escalier daté de 1830, véritable merveille d’équilibre, nous conduit jusqu’aux chambres. Il ne comporte pas de noyau central et ses marches en pierre s’encastrent uniquement dans la paroi de la tour. Cet appareillage assez rare se retrouve au château de Taurines, près de Naucelle et… au Louvre.
Voici les chambres. Nous aurons un faible pour la chambre nuptiale avec sa charpente au bois peint et ses trois fenêtres ouvertes sur le causse.
Les petits déjeuners se prennent dans la vaste cuisine pavée de pierres de pays avec sa cheminée traditionnelle flanquée d’un four à pain.

PARTICULARITÉS D’UNE PARTICULE…

Le domaine des Brunes prit toute son importance aux alentours de la Révolution grâce à Jean Antoine, négociant à Marseille. Ses descendants garderont les Brunes jusqu’en 1905. Pourtant, lorsque à cette date, la famille David achète le domaine elle traite avec la famille du « comte des Brunes ». Où sont passés les Antoine ? La réponse illustre les complaisances de l’état civil.
D’abord un acte de 1882 mentionne plusieurs enfants portant le nom « d’Antoine des Brunes ». Puis, quelques années plus tard, lors de la vente de 1905, seul le patronyme « des Brunes » apparaît.
Adieu les « Antoine », bonjour les « des Brunes » ! Quant au titre de comte …
Ainsi, sur le causse Comtal comme ailleurs, beaucoup de notables n’ont pas résisté au charme des connotations nobiliaires ou supposées telles !

PAUL-LOUIS DE LA TOUR SAINT-IGEST : UNE VIE AGITÉE

En 1731, et sous le règne de Louis XV le Bien-Aimé, le jeune Paul-Louis de la Tour Saint-Igest, âgé de cinq ans, vient se réfugier aux Brunes, chez sa grand- mère, Cécile Bastide.
Sa famille vient de vivre un drame : son père et son grand-père, les comtes de la Tour Saint-Igest, seigneurs de La Bessière (près de Sénergues) viennent de mener à son terme une longue querelle avec un seigneur voisin en abattant son fils aîné à coups de pistolet ! Ils sont en fuite.
Paul-Louis va vivre une bonne partie de sa jeunesse aux Brunes avant d’en hériter. Mais c’est surtout sa vie hors du commun, écartelée entre les colonies et la France qui retient l’attention.
Du côté de l’île Maurice, il achète des terrains (sans les payer), investit dans des plantations et des mines ; en France, il ne songe qu’à briller dans les salons parisiens, à dilapider son argent et celui qu’il a emprunté.
Entre ces deux pôles d’attraction, il y a place pour des périodes de fuite, de conflits avec ses enfants, etc.
Une seule constante dans sa vie chaotique : il a régulièrement dépensé plus qu’il ne pouvait et malgré les poursuites de ses créanciers il trouvera toujours auprès de hauts personnages la possibilité d’emprunter sans rembourser. Ses talents de séducteur et de beau parleur lui valent l’appui des « Grands de la Cour » y compris la propre sœur de Louis XV !
Dernier point en forme de paradoxe. Mort à demi fou en 1796, ce père indigne eut une fille Elisa qui a – semble t-il – servi de modèle à la pure et fraîche héroïne de « Paul et Virginie ».
Bernardin de Saint-Pierre aurait fait la connaissance d’Elisa, modèle d’innocence, pendant que son peu recommandable père s’ingéniait à détourner les poursuites de ses créanciers !