Patrimoine

Patrimoine vernaculaire

Les croix

La période révolutionnaire a entrainé un mouvement de déchristianisation en France et en particulier en Rouergue.
Dès le début du XIX ème siècle on assista à une renaissance des pratiques religieuses et à un renouveau des signes extérieurs de la foi. L’ouvrage de Chateaubriand « le génie du christianisme » paru en 1802 s’inscrit dans ce contexte.
Cette période voit s’ériger de nombreuses croix dans nos campagnes.
« Ces croix qui ont accompagné de leur naissance à leur mort l’existence des hommes furent dressées pour transmettre aux êtres touchés ou non par la foi le message de nos aïeux. Elles relient le passé au présent, le quotidien à l’éternel et témoignent aussi de l’art patient et de la ferveur d’humbles paysans et tailleurs de pierres. Elles expriment le goût du bel ouvrage qu’ont toujours eu les Rouergats. Et comme nous le dit Jacques Bousquet « elles apprennent que l’homme doit toujours faire un effort, somptueusement ou modestement, pour graver dans la matière la trace de l’esprit ».
A travers elles apparait l’âme du Rouergue ».
Extrait d’un courrier de Monsieur Jacques Pruvost , passionné de l’histoire des croix en Aveyron, adressé à notre association.

Monsieur Jacques Pruvost nous a également communiqué une étude précise sur deux croix significatives du patrimoine de Barriac : la croix de Peyremat et la croix de Carcuac.

La croix de Barriac, dite croix de Peyremat, mérite qu’on lui accorde une attention particulière. Elle est taillée dans le matériau du pays, le calcaire, et seule une face est imagée. Le croisillon de section carrée porte un cœur surmonté d’une flamme et au dessous le titulus (le nom du supplicié INRI, c’est-à-dire Jésus de Nazareth Roi des Juifs).
Le haut du long fût de deux mètres est séparé du croisillon par une bague et au bas on peut lire les initiales ABP (vraisemblablement celles du nom du donateur) ainsi qu’une date : 1836.
Un serpent tentateur (semblable à celui représenté sur leurs oeuvres par Dûrer, par Michel Ange et beaucoup d’autres artistes) s’enroule autour du fût. Il tient dans sa gueule une branche de pommier avec le fruit défendu. Sa queue a la forme d’une flèche pointue telle celle dont étaient affublés les démons dans les représentations conventionnelles de Satan au Moyen Age, et qui figurent parmi les sculptures dans les cathédrales , les gargouilles, ou encore sur les tympans des églises comme à Conques. Souvent Lucifer garde sa figure humaine puisque selon Saint Augustin, bien que condamnés à l’enfer, les démons malfaisants en sortent pour éprouver les hommes et leur faire commettre des actes condamnables. Cette croix rappelle donc l’une des scènes bibliques dont s’emparèrent les peintres au moment du renouveau religieux qui fit suite aux violences anticléricales de l’époque révolutionnaire. Nous sommes là en présence d’une figure de rhétorique car ce serpent symbolise l’Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal, c’est-à-dire celui du bonheur et du Malheur, l’Arbre de la Mort, celui portant le fruit défendu, opposé à l’Arbre de Vie. Un témoignage facile à comprendre et à retenir par une population paysanne qui n’émergeait pas encore complètement de l’analphabétisme. Pour les uns, cette image rappelle qu’à l’origine l’homme n’est pas pervers, mais c’est sa faiblesse et son orgueil qui l’ont amené au péché originel en s’appropriant le fruit défendu (dont l’Occident en fit une pomme) pour se libérer de toute dépendance divine. Et c’est de cet Arbre de Paradis sur lequel apparaît le serpent tentateur qu’est venue la déchéance de l’humanité qui priva l’homme de l’immortalité.
Saint Augustin pour sa part voyait dans ce serpent l’image de la mort du Christ et il s’était efforcé de montrer qu’il n’existe pas de bons démons. Mais pour d’autres le serpent incarne l’image du Christ élevé sur la croix comme il est dit dans l’Evangile selon Saint Jean (chapitre 3). D’ailleurs le fait que le serpent mue, quitte sa peau pour en revêtir une nouvelle, le fait percevoir comme le symbole de l’immortalité.
Cette croix représente ainsi l’un des thèmes hautement symbolique de la renaissance du catholicisme dans cette première moitié du XIX ème siècle.

La croix de Carcuac datée de 1839, plantée à l’entrée du village, est hautement symbolique à l’instar de celle de Barriac , et fait référence à la précédente érigée au début du XIXème siècle.
A Carcuac une couronne avec au-dessus un cœur piqué sur une tête, sont sculptés à l’avers de la croix au centre du croisillon . Au revers une seconde couronne seule occupe à nouveau le centre du croisillon.

Ces deux croix sont donc emblématiques de la dévotion au Sacré-Coeur comme symbole d’amour. On sait que les Vendéens soulevés contre la Convention de 1793 avaient adoptés cet emblème et que son culte avait été autorisé par le pape Pie VI en 1779 pour être célébré lors du mois du Sacré-Cœur en Juin. Ce culte a donné lieu à la fondation en 1835 de l’ordre des prêtres du Sacré-Cœur. La couronne symbolise la passion du Christ tandis que la flamme rappelle aux chrétiens le souvenir. Les symboles portés par ces croix le sont aussi sur d’autres à Bruéjouls, à Serres (commune de Taussac) à Verrières , à Sainte Eulalie du Causse…