Histoire

Témoignages

Thérèse Vernhes

Travailler dès l’enfance…

Thérèse Vernhes sera centenaire fin novembre 2011… Toute une vie de femme de paysan dont elle est heureuse de parler… Elle est née à Lemensac, un village de la commune de Gabriac, dans une petite ferme exploitée par sa mère, avec deux frères et une sœur, Joséphine, qui vit encore. Elle va à l’école de la paroisse à Ceyrac, une pension religieuse où les sœurs sont très consciencieuses. « Elles nous font ainsi rattraper, le jeudi ou le dimanche entre les messes, le temps perdu… à travailler à la ferme, à ramasser les châtaignes quand c’est le moment par exemple », car tout le monde donne la main : garder et soigner les bêtes, s’occuper de la volaille, nourrir les cochons, aider les hommes pour les foins, la moisson, le dépiquage. Pas de sortie, pas de bal… On ne connaît que le travail. Sans père, sans allocations, il faut tout faire, « à l’huile de coude et à pied ». Une jument et des bœufs à la ferme pour les travaux des champs et par les chemins difficiles. Il n’y a pas de route et il faut marcher jusqu’à Gabriac ou Espalion, pour faire les commissions en portant les paquets au retour. Toute son enfance, toute son adolescence à travailler, ce qui lui semble normal et nécessaire…

Toujours travailler…

A vingt ans, en décembre 1930, elle épouse Gaston Vernhes et vient vivre à la Basse Marche avec ses beaux-parents qui font de leur mieux pour aider à la ferme, surtout en sortant et en gardant les bêtes. La retraite n’existe pas et il faut les nourrir. Elle aura deux enfants en 1932 et 1933, Louis et René, des enfants qui vont à l’école jusqu’à 12 ans. Louis gardera la ferme et René montera à Paris juste après son régiment. A la ferme de quelque 30 hectares, il faut s’occuper des bêtes, des bœufs, une paire de bœufs pour travailler la terre, une dizaine de vaches et une cinquantaine de brebis. Les cochons, la volaille, les lapins, c’est le travail des femmes ; c’est aussi l’essentiel de la nourriture à la ferme. Elles préparent les repas, élèvent les enfants, font le ménage, la lessive à la main, le raccommodage… En soirée, à la veillée entre voisins – les Catusse, Douls, Arnal – , elles tricotent en papotant auprès du feu pendant que les hommes jouent aux cartes et boivent un coup. Ce sont tous des chasseurs et ensemble on mange un lièvre ; à l’occasion, on partage un dindon. Quand on tue le cochon, on s’aide les uns les autres et chacun donne « le présent » à ses voisins. On achète le vin, une barrique de 220 litres. Femmes et enfants boivent de l’eau rougie avec un peu de vin. Il n’y a pas de sirop. On fait beaucoup de cidre avec toutes nos pommes. On cultive des pommes de terre, des betteraves, des choux-raves pour les cochons ; on leur donne aussi de la farine d’orge. On apporte le blé pour le moulin chez Burguière à Bozouls ; en échange, on prend le pain au boulanger qui passe avec sa camionnette – Burg de Rodelle, puis Maurel de Gages -. On fait de la pâtisserie, des tartes, des « pastis », des rissoles. Café pour les femmes, du vin pour les hommes. On vend les veaux, les agneaux et on trait le lait des brebis que l’on apporte dans des bidons, à dos ou sur un chariot, à la laiterie de Barriac qui fait du roquefort (elle fermera dans les années 60). Arrivée du premier tracteur en 1960 dans l’exploitation familiale.

A l’école et à l’église

L’école publique est à Barriac et les enfants y vont jusqu’au certificat d’études, une soixantaine de garçons et de filles avec un grand mur pour les séparer. Des religieuses tiennent la cantine. Ce sont les fils de riches et les boursiers qui poursuivent leurs études. Pendant les vacances, les enfants travaillent. Et Thérèse se souvient d’un petit berger qui serait bien resté chez eux tant il y était heureux, logé, nourri avec quelques sous économisés pour l’école. « Les gosses étaient appris à travailler de bonne heure ».
Tout le monde va à la messe le dimanche, hommes et femmes. A la sortie, les hommes vont jouer aux cartes et boire un « pintou » au bistrot ; les femmes parlent et échangent entre elles. Elles ont le souci du dîner et doivent se dépêcher de rentrer à la maison pour le préparer, toujours un bon repas le dimanche. Les hommes s’attardent au bistrot et vont « se soulager » en sortant, bien alignés contre le mur de chez Rosine ! Tous les gens se connaissent, discutent, plaisantent, prennent des nouvelles des uns et des autres comme dans une grande famille. La paroisse de Barriac est importante – les Escabrins, Lédenac, Carnus, Paumes, Séveyrac, Crespiac, Carcuac, la Graillerie, le Mas Majou, la Basse Marche -, c’est une bonne paroisse. Les Rameaux, Pâques, le 15 août, Noël,… de grandes fêtes avec tous les fidèles rassemblés. La messe est dite en latin, on chante et personne ne se soucie de lire la traduction. On met un rameau de buis dans la maison et dans chaque étable pour les bêtes. Le 16 août, pour la fête de Barriac, la Saint-Roch, le curé va les bénir dans chaque ferme aves les enfants de chœur, souvent quatre, fiers dans leur surplis bien repassé. Si ce 16 août tombe un jour de la semaine, tous les paysans respectent le vœu fait autrefois de ne pas travailler avec les bœufs ce jour-là et ils font le boulot à la main.

Il n’est pas facile de se déplacer ; ce sont des heures de marche pour aller à la ville acheter des outils, des chaussures. Le charron vient travailler à la ferme et on le nourrit. Par contre, on va chez le forgeron, chez Franques à Barriac ou Persec à Bezonnes. « Les dix-huit mois de régiment ont fait du bien aux garçons, encore fallait-il leur tenir des sous ». En 32, on va téléphoner dans une cabine souvent installée chez un particulier, d’abord à Bezonnes, puis à Concourès, plus tard à Barriac chez Franques. « Oui, le téléphone a marqué ! » L’électricité arrive en 34, ce sera le plus « utile ». Entrée du premier tracteur en 1960 dans l’exploitation familiale. Plus tard « la télé n’a fait qu’abrutir les gens. Et on ne pouvait plus en sortir les enfants ! Chacun chez soi, finies les veillées !… »
Son mari mourra en 1985. Elle a 5 petits-enfants et, à ce jour, 5 arrière-petits-enfants.

« On trimait, mais on était contentes… »

Thérèse vit paisiblement à la maison d’accueil Les Caselles à Bozouls. Louis est toujours à la Basse Marche et René a pris sa retraite à Bozouls. Et de conclure avec le même sourire, le même recul, la même sérénité :
« Les femmes ont toujours travaillé dur, même le dimanche ! On trimait, mais on était contentes, contentes de pouvoir joindre les deux bouts. On vivait petitement et on se contentait de ce qu’on avait. On ne manifestait pas pour les mauvaises années, la sécheresse. On ne répandait pas les citernes de lait par terre. Personne ne rouspétait. On ne connaissait pas beaucoup le docteur. Il fallait le payer et quand on le voyait ou qu’on le faisait venir, c’était pour quelqu’un qui était bien malade ou qui allait mourir. On se soignait avec des tisanes, des herbes… On a travaillé dur pour avoir ce qu’il nous fallait pour vivre, pour élever nos enfants ».
« A 100 ans, quand on voit tout ce qu’on a fait et qu’on ne peut plus faire… »
Elle en est cependant satisfaite et heureuse.

Entretien avec Thérèse Vernhes réalisé le 18 août 2011 par Jean-Pierre Huguet, mari de Rolande Combret