Histoire

La vie d’autrefois

La transhumance de Séveyrac

Mille ans d’élevage, mille ans de transhumance.

Dans le texte qui suit, Jean-Yves Rieucau, éleveur à Séveyrac, porte un témoignage sur une tradition qui a marqué et qui marque encore la vie des propriétaires de ce domaine.

La transhumance est un mode d’élevage qui découle de l’observation des migrations naturelles des premiers troupeaux. C’est le déplacement du bétail des zones basses, le Causse Comtal et la vallée de l’Aveyron, vers des terres d’altitude plus élevée où l’herbe y est plus abondante en période estivale.
A l’origine de l’élevage rouergat, les troupeaux mélangés étaient en continuels déplacements avec des éleveurs non sédentaires. Plus tard, les troupeaux, principalement d’ovins, rejoignaient par les drailles les terres inhabitables pour l’estive. Le changement fut progressif, mais aujourd’hui il est difficile de le dater.

Aux XIème et XIIème siècles, le développement des deux grandes abbayes de Bonneval et d’Aubrac se construit à partir d’un système agropastoral précis et très efficace et ce, d’autant plus que les dons fonciers considérables des laïcs aident les religieux à constituer de grands domaines où ils vivent en parfaite autarcie.
Dans les zones basses, le Causse Comtal et la vallée de l’Aveyron, un réseau de granges abbatiales se met en place. On y cultive le seigle puis le froment et on y élève bovins et ovins. C’est là que pour la première fois on parlera de sélection et que naîtra la race d’Aubrac, la seule à pouvoir résister aux différences climatiques entre la montagne, la vallée et le causse.
En altitude, les abbayes ont déboisé intensivement pour créer d’immenses pacages près d’Aubrac et sur l’ensemble du plateau.

Ainsi, depuis des siècles à la Saint Urbain, les animaux libèrent les zones de fauche pour rejoindre la montagne où l’herbe de qualité pousse naturellement et en abondance ; c’est la « Montada ». Les troupeaux sont en grande effervescence et les plus beaux animaux, fiers et allurés, parés de clapes et sonnailles, copieusement décorés de houx ou genévriers fleuris, prêts pour être exposés au regard des nombreux touristes, quittent leur étable dès potron-minet. Aux premiers froids, à la Saint Géraud, c’est la « Davalada », les vaches rejoignent la vallée et les causses pour y passer l’hiver.
Alors qu’à l’origine les ovins étaient les plus nombreux sur les estives, progressivement les bovins ont pris une place prépondérante et à partir du XVIIIème siècle avec l’apparition des burons, la fabrication du fromage s’est développée.

Aujourd’hui, en ce début du XXIème siècle, la transhumance n’est pas remise en cause, elle offre au contraire un mode d’exploitation équilibré, compatible avec la logique du développement durable. Au-delà du critère économique, pour l’éleveur passionné, la transhumance revêt un aspect sentimental particulier.
Comme nous le précise Jean-Yves Rieucau, tout le long du parcours, le troupeau de vaches est le reflet d’une famille, d’une maison, véhiculant la qualité de l’éleveur. Il évoque aussi les joies et les peines. Au décès d’un proche, seules quelques vaches, les meneuses, porteront le crêpe noir, signe de deuil. Les drapeaux tricolores prouvent l’attachement du propriétaire aux valeurs de la République. Quant à la présence d’une queue de cheval sur les jougs des vaches décorées, elle est certainement une évocation de l’Empire.
Jean-Yves nous rappelle qu’il fut un temps où la ferme de Séveyrac avait la charge de la montagne de Bort-Haut après Nasbinals. Cette montagne de 220 hectares pouvait nourrir à l’estive beaucoup plus de vaches qu’elle n’en possédait. C’est pourquoi, au troupeau de Séveyrac se joignaient d’autres élevages de la paroisse de Barriac et des environs de Bozouls. Dans une note manuscrite de 1922, écrite par son arrière-grand-père Pierre Rieucau (1876-1958) alors fermier à Séveyrac, il est mentionné les noms des éleveurs de Barriac qui lui confient leurs vaches et génisses pour l’estive. Ces animaux se mélangeaient avec ceux de Séveyrac à l’embranchement du chemin de Carcuac au niveau du bois :
Séveyrac- Rieucau 60 vaches dont 20 bourrettes, La Planhe- Foulquier 43 vaches, Barriac-Laviguerie 2 génisses, Albouy 2 vaches, Firmignac 2 génisses, Carcuac-Rieucau 7 vaches, Sévignac-2 génisses.

Le 27 mai 2018, Jean-Yves Rieucau accueille dans son étable, dès 4 heures du matin, ses 30 invités parmi lesquels une dizaine d’entre eux vont assurer la bonne conduite du troupeau de 70 vaches au cours de « la montada » vers l’Aubrac. Cloches, décorations, drapeaux tricolores bien en place sur les bêtes désignées, les consignes précisées aux accompagnateurs, Jean-Yves peut donner le signal du départ à 5 heures. Les premiers kilomètres sont parcourus à un rythme soutenu qui surprend les nouveaux participants à cette marche. En effet les vaches savent où elles vont et elles sont pressées de retrouver la montagne et ses prairies naturelles. 10 heures, première halte à Saint-Côme, les vaches se désaltèrent longuement dans la fontaine du village ; la population est au rendez-vous et les touristes très nombreux , les premiers casse-croûtes sont distribués . 12 heures deuxième halte à Salgues pour faire boire le troupeau. Depuis Saint-Côme, l’organisateur assure pour ses invités des points réguliers de ravitaillement .16 heures, c’est l’arrivée à Aubrac . Après les discours, le troupeau poursuit son chemin jusqu’à la montagne située à 1 kilomètre. Là, dans un parc sécurisé, les cloches ,décorations et drapeaux sont déposés et les vaches sont prêtes pour « l’amaire ». Les veaux partis en camion de Séveyrac avec le taureau depuis 14 heures retrouvent leur mère ; un spectacle fort apprécié. Quand la tétée est terminée,le troupeau retrouve sa montagne. Jean-Yves partage ensuite au buron avec ses invités un moment convivial où chacun peut se substanter pour reprendre des forces.
La « davalada »a lieu comme d’habitude à la Saint-Géraud le 21 octobre . Mais contrairement aux années précédentes et compte tenu de la fermeture du pont sur le Dourdou à Bozouls pour travaux, c’est en camion que les vaches retrouvent Séveyrac, et leurs veaux sevrés depuis un mois.